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Portraits et autoportraits de formatrices et formateurs en Bourgogne-Franche-Comté – Episode 7

Elaborée dans le cadre de la Communauté des organismes de formation en Bourgogne-Franche-Comté et bénéficiant des financements du Pacte régional d’investissement dans les compétences (PRIC), l’action « Portraits et autoportraits de formatrices et formateurs », portée par Emfor, est une première étape dans l’accompagnement au développement des pédagogies active et expérientielle au sein des pratiques des professionnels de la formation en Région.

Frédéric Haeuw à qui ont été confiées l’ingénierie et l’animation de cette action va à la rencontre de formatrices et de formateurs afin de produire avec eux des récits de pratiques sous la forme de portraits ou d’autoportraits...

C’était la fin de l’après-midi et la journée avait été bien remplie. J’attendais mon dernier rendez vous dans un bureau des locaux du CESAM situés près de gare de Dijon, maison bourgeoise au charme d’antan, qui n’était pas sans me rappeler quelques souvenirs d’enfance, lorsque j’accompagnais mon père à son travail. Le vieux parquet grinçant agissait-il comme une madeleine de Proust ? Toujours est-il que je laissais mon esprit vagabonder entre hier et aujourd’hui et – oserais-je l’avouer, s’il s’était prolongé, cet état de demi-somnolence aurait pu se transformer en véritable sieste ! Mais fort heureusement, pile à l’heure, est arrivé Lou Ann : le dynamisme qu’elle dégagea d’entrée de jeu et l’énergie dont elle fit preuve pour dénicher le matériel et les ingrédients pour préparer un café, fort bienvenu, eurent tôt fait de me réveiller et de m’ouvrir à cette nouvelle rencontre.

Et il lui en faut de l’énergie pour tenir le rythme ; jeune formatrice en Français Langue Étrangère, fraichement titulaire d’un Master 2 FLEAL (Français Langue Étrangère et Aires linguistiques), Lou Ann court d’un endroit à l’autre, intervenant dans un grand nombre de dispositifs situés dans différents lieux de la ville. Ainsi, au cours d’une même semaine, elle peut successivement :

  • Animer des ateliers dans une MJC avec des parents d’enfants scolarisés en France et ne maitrisant pas la langue (dispositif : Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants) visant à optimiser la réussite éducative et le développement de la parentalité (PRE) ;
  • Donner des cours au sein d’un chantier d’insertion dans la cuisine d’un foyer avec des femmes migrantes (KER) ;
  • Animer des Ateliers Sociaux Linguistiques (ASL) sur différents niveaux, dont l’un avec un public ukrainien ;
  • Accueillir des publics migrants lors de plages spécifiques de positionnements linguistiques dans le cadre de leurs projets d’insertion et de les accompagner dans la recherche d’une formation répondant à leurs besoins ;

Le tout en préparant ses cours et ses supports, bien évidemment sans reprendre tel quel des préparations ou des ressources existantes mais en les adaptant aux contextes, aux niveaux, aux besoins et aux projets de chacun.

Mais pourrait-il en être autrement ? Si comme beaucoup de petites filles elle a pu rêver un jour de devenir maitresse d’école, elle aurait sans doute trouvé le travail au sein d’une classe trop routinier, trop rigide, manquant de diversité et de liberté pédagogique. A cet égard, le CESAM lui permet de varier ses pratiques, de ne pas s’enfermer dans une routine et d’explorer toutes les facettes de son nouveau métier avec un féroce appétit de découverte.

Une fois dépassé le rêve de petite fille, sa première inclinaison professionnelle sera de devenir ergothérapeute ; mais « pas très bonne dans les matières scientifiques », ses enseignants l’orientent vers une filière économique et sociale, qui la conduira en Licence de psychologie avec pour projet de devenir psychologue clinicienne, et tenter pour cela par deux fois d’intégrer le Master, dont on connait tous la rudesse de la sélection (2000 candidats pour 15 places !).

En 2018, elle opte pour un service civique à Nancy, dans un foyer pour mineurs non accompagnés où elle restera sept mois, avec comme fonction l’apprentissage de la langue française, l’aide aux devoirs, l’ouverture à la culture française, l’accompagnement des jeunes en complémentarité avec les éducateurs spécialisés. Ainsi, se disait-elle, elle pourrait approfondir ses connaissances en vue du Master de psychologie tout en faisant œuvre utile. Cette expérience sera pour elle l’occasion d’une double découverte : le monde du social et l’apprentissage du français à des publics étrangers, pratiques dont elle apprendra les rudiments sur le tas : « Ces jeunes-là, en souffrance pour beaucoup, il faut aller les chercher, les attirer, les fidéliser en instaurant une relation de confiance, en étant à l’écoute et très imaginative ».

Après les deux tentatives en psychologie, viendra, sous la pression attentive mais ferme de sa mère, un essai en Master MEEF 1er degré, qui occasionnera sa déconvenue face à la rigidité du système scolaire. Puis, se remémorant avec nostalgie son expérience heureuse en foyer, viendra une nouvelle orientation en Master FLE à Dijon qu’elle choisira parce qu’il ressemble le plus à sa courte expérience en service civique, et parce qu’il propose deux stages en cours de cursus. Son stage de M1 se fera en UPE2A (dispositif d’aide à l’apprentissage du français par les élèves nouvellement arrivés en France) et son stage de M2 au CESAM, qu’elle décroche enfin, car ce centre de formation l’attire depuis longtemps par les valeurs qu’il porte, ainsi que pour la diversité de ses publics et de ses actions. Et puis après ? Quoi espérer de mieux, son stage se prolonge par un CDD, puis un CDI signé en janvier 2023 et voilà Lou Ann installée dans le monde du travail.

La notion de parcours au cœur de son action

Si l’on devait choisir un mot pour définir sa démarche pédagogique, ce serait le mot « parcours ». Son choix de devenir ergothérapeute était déjà mû par le souhait d’accompagner une personne sur le long terme ; son mémoire de Master, soutenu enseptembre 2022 porte sur le thème « Le français comme langue d’intégration : du positionnement à l’insertion sociale et/ou professionnelle ». En effet, dit-elle, « au cours de mon stage, j’ai pu découvrir toutes les actions linguistiques : le positionnement, les ateliers sociaux linguistiques dans les quartiers, le dispositif DAQ, les parcours CLIP (accès professionnel ou accès alphabétisation), le français langue à visée professionnelle, les APP… J’ai retrouvé des stagiaires à différents moments, et cela m’a conduit à m’interroger sur la notion de parcours d’insertion et sur la place de la maitrise de la langue dans ces parcours ». Lou Ann relève d’abord l’importance de la phase de positionnement, qui permet réellement de voir où en est la personne et de déceler ce qui peut la mettre en mouvementLes ASL sont également un tremplin pour raccrocher les personnes, les insérer socialement et dans la ville, pour aller ensuite vers une formation plus intensive à visée professionnelle ou non : « c’est à nous, accompagnateurs, de bien comprendre les personnes afin d’imaginer et de leurs proposer des parcours adaptés, en s’appuyant sur la diversité de l’offre linguistique de notre territoire ».

Elle constate que les parcours peuvent être parfois très longs, en fonction du besoin de maturation des projets personnels, mais aussi à cause de l’obligation imposée par l’État Français de maitriser tel ou tel niveau de français pour obtenir ses papiers et prouver son intégration. Le lien entre le niveau de maitrise de la langue et l’obtention des papiers pour les étrangers venant en France est un enjeu administratif et non un enjeu pédagogique et cela conduit à un allongement de la durée des parcours. Pourtant « la maitrise de la langue ne conduit pas toujours à l’insertion épanouie dans le pays d’accueil, alors que l’insertion professionnelle ou l’entrée en formation qualifiante pourraient davantage y contribuer si elles débutaient plus tôt. Dès l’instant où la personne serait apte à travailler, il serait possible d’ancrer les apprentissages de la langue avec l’exercice d’un métier, dans le cadre d’une approche didactique du français langue professionnelle. Mais ce n’est malheureusement pas possible aujourd’hui car la maitrise de la langue est un préalable pour commencer à chercher un emploi ou pour entrer en formation qualifiante ».

Comment définir le métier de formatrice FLE ? « Tout d’abord, le FLE est un terme générique qui recouvre une grande diversité de pratiques :  FLI, FOS, FLP… en Master, on étudie tout cela et ensuite on adapte sa manière d’enseigner en fonction des publics et des contextes. Mêmes les ASL ne seront pas du tout les mêmes en fonction du public et des niveaux (alphabétisation, débutants, mixtes, niveau A2 B1, etc.). Donc, je ne fais pas les cours de la même façon dans les ASL ou dans les chantiers d’insertion : les publics et les objectifs ne sont pas les mêmes, par conséquent les approches didactiques sont également différentes. Par contre, je vais faire en sorte d’utiliser le plus possible des supports authentiques, par exemple les offres d’emploi, les spécialités culinaires régionales dans le cadre du chantier d’insertion ou encore les menus de la cantine, les parcs de Dijon, la piscine… dans le cadre du PRE.

C’est complexe de définir le métier de formateur : Au-delà des techniques, c’est avant tout un métier de l’humain avec sa subjectivité, ses valeurs qui transparaissent dans la pédagogie qui sera mise en œuvre. Selon moi, un formateur n’est pas quelqu’un qui possède le savoir utile, car si j’ai des choses à apporter aux stagiaires, eux aussi en ont vis-à-vis de moi ; je suis dans l’échange, à contrario d’un enseignant qui est « celui qui sait » s’adressant à des personnes « qui ne savent pas ». Je les laisse avant tout s’exprimer entre eux, se former et se corriger mutuellement. Mon travail est de les accompagner, de les orienter pour les conduire progressivement vers les compétences attendues. En outre, je n’ai pas de mission éducative, contrairement à un enseignant en formation initiale ; ce sont des adultes, et il faut veiller à ne jamais les infantiliser dans la relation que l’on instaure avec eux. Ce qui nous rappelle à l’ordre, par exemple, c’est de leur poser la question de leurs métiers ; dans leurs pays d’origine, certains sont ingénieurs, économistes, enseignants et cela nous pousse à la modestie : Nous sommes des adultes s’adressant à d’autres adultes ».

A bâtons rompus, nous avons poursuivi notre échange sur différents sujets : sur l’importance de l’image que l’on renvoie aux personnes accueillies en formation à travers le cadre de travail et de vie que l’on met à leur disposition, sur la rigueur administrative des parcours d’insertion, sur la didactique du FLE, sur la segmentation du marché de la formation, sur les parcours de vie fracassés des personnes arrivant sur notre territoire. Le dynamisme que j’évoquais en début d’article se double chez Lou Ann d’une curiosité intellectuelle et d’une réelle prise en considération de l’autre, qui laissent augurer une belle carrière dans un métier qui, décidément, semble lui aller comme un gant.

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