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Portraits et autoportraits de formatrices et formateurs en Bourgogne-Franche-Comté

Elaborée dans le cadre de la Communauté des organismes de formation en Bourgogne-Franche-Comté et bénéficiant des financements du Pacte régional d’investissement dans les compétences (PRIC), l’action « Portraits et autoportraits de formatrices et formateurs », portée par Emfor, est une première étape dans l’accompagnement au développement des pédagogies active et expérientielle au sein des pratiques des professionnels de la formation en Région.

Frédéric Haeuw à qui ont été confiées l’ingénierie et l’animation de cette action va à la rencontre de formatrices et de formateurs afin de produire avec eux des récits de pratiques sous la forme de portraits ou d’autoportraits...

Les Ateliers de Pédagogie Personnalisée (APP) occupent une place privilégiée dans mon parcours professionnel : C’est au sein de ce dispositif  que je réaliserai en 1988 mes premiers pas de formateur en mathématiques. Plus tard, je prendrai la responsabilité des APP de Roubaix-Tourcoing et Villeneuve d’Ascq, et en 2001 je rejoindrai pour quelques années l’équipe en charge de l’animation nationale de ce réseau (Algora formation ouverte et réseau). Ma thèse de doctorat portera également sur ce sujet, faisant elle-même suite à une recherche européenne sur les compétences de formateurs en formation ouverte et à distance. Enfin, je ne peux passer sous silence l’ouvrage « les tribulations de Gianni en APP » que j’ai publié en 2004 suite à un atelier d’écriture praticienne avec des coordonnateurs de la région Normandie.

C’est pourquoi, lorsque j’ai entraperçu l’APP de Dijon lors de ma première visite au CESAM avec Athénaïs, je ne pouvais pas laisser passer l’occasion de renouer avec ce dispositif. Je suis donc revenu quelques semaines plus tard avec un nouveau guide : Nicolas Colombet.

Apparus en 1983 en région lyonnaise, progressivement étendus à tout le territoire national jusqu’à en compter près de 500 dans les années 2000, les APP sont les précurseurs d’une pédagogie originale fondée sur l’autoformation éducative, courant de pratiques pédagogiques « visant à développer et à faciliter les apprentissages autonomes, dans le cadre d’institutions spécifiquement éducatives » (P. Carré,1997). Pas de formateur traditionnel ici, pas de cours collectif, pas de programme préétabli, mais une individualisation des contenus et une adaptation aux besoins de chaque apprenant, une large place laissée à l’autonomie dans les apprentissages, grâce à des dossiers d’autoformation thématiques, dans un cadre de travail propice aux échanges entre pairs et avec l’aide bienveillante des formateurs. Philippe Carré, enseignant chercheur à Paris Nanterre et compagnon de longue date du réseau des APP théorisera cette pratique en 1988 dans un texte intitulé « les sept piliers de l’autoformation » qui servira, dans les années 2000, de trame à l’élaboration d’une deuxième version du cahier des charges. De son point de vue, la réussite de l’autoformation éducative s’appuie sur sept dimensions : le projet initial de l’apprenant, la signature d’un contrat pédagogique, une phase de préformation à l’autoformation, des formateurs facilitateurs, un environnement ouvert de formation, une alternance individuel/collectif et enfin un triple niveau de suivi (individuel, collectif et institutionnel).

Le dispositif APP a traversé plusieurs crises, mais a su rebondir, notamment en 2006, lorsque l’État met fin aux subventions de fonctionnement et à l’animation nationale. Le réseau réagit alors en créant l’APapp (actuellement Association pour la promotion du label A.P.P.) qui reprend à son compte le label APP. Habilitée Instance de labellisation par France Compétences en 2019, l’APapp peut à ce jour délivrer la marque de certification Qualiopi au titre de sa propre démarche qualité, habilitation valable pour les catégories «actions de formation » et « actions permettant de faire valider les acquis de l’expérience ». Notons que seules huit instances de certification sont dans  ce cas.

Traditionnellement partenarial, l’APP de Dijon est porté par deux organismes de formation, le CESAM et l’IRFA et est animé par une petite équipe de neuf formateurs et une coordinatrice ; il intervient notamment dans le cadre du Dispositif d’Accès à la Qualification Région (DAQ) et prend en charge les remises à niveau « socle de base », ainsi que des certifications (CléA, CléA numérique, Apprenant agile, PIX). En plus de ces publics, il accueille aussi quelques salariés, et est le partenaire formation de CESAM autonomie que nous avons découvert précédemment avec Athénaïs. En tout, ce sont plusieurs centaines de stagiaires qui passent chaque année à l’APP, pour des parcours de deux à cinq mois, sur un ou plusieurs domaines en fonction des besoins.

Nicolas, formateur en mathématiques, physique et chimie

Le formateur qui m’accueille aujourd’hui se prénomme Nicolas. Il est formateur en mathématiques-physique-chimie à l’APP de Dijon depuis 2008, et il pilote également le domaine du socle de base. A ce titre, il est un intermédiaire entre le terrain, au contact des stagiaires, de l’encadrement et des financeurs, ce qui permet de faire se rencontrer et dialoguer ces points de vue. En lui proposant de prendre en charge quelques missions administratives, le CESAM lui a offert la possibilité de diversifier ses activités, et d’intervenir en amont des actions, dans les réponses aux appels d’offres par exemple, le suivi et les modifications des parcours, l’organisation des sessions de certifications, tout en préservant son cœur de métier qui, à l’écouter en parler, semble bien être aussi un métier de cœur.

Nicolas prend le temps de me faire visiter les lieux et de m’expliquer le fonctionnement. Depuis le temps, la procédure d’accueil est bien rodée et n’a pas trop évolué. Tout d’abord, les stagiaires ont une première rencontre pour évaluer les domaines dont ils pourraient avoir besoin, puis ils passent des positionnements plus exhaustifs sur les domaines identifiés. Ils suivent ensuite un parcours découverte pour comprendre le fonctionnement et la pédagogie de l’APP, à la suite de quoi les formateurs corrigent avec eux le positionnement et élaborent un contrat pédagogique. Ils viennent ensuite à l’APP une ou deux demi-journées par semaine par domaine où des besoins ont été identifiés, et un point de régulation est fait au bout d’une première période pour vérifier l’adéquation du contrat. Ils peuvent également suivre des ateliers méthodologiques et thématiques sur l’apprendre à apprendre et sur les compétences transversales, s’ils souhaitent préparer la certification Apprenant Agile.

En arrivant sur les plages d’autoformation, dans la salle prévue pour l’atelier, ils trouvent des pochettes préparées par le formateur de la discipline, qui contiennent le travail à réaliser. Chacun s’installe où il le souhaite, à sa guise, un peu isolé ou près des autres apprenants et même si ceux-ci ne travaillent que très rarement les mêmes notions au même moment, une entraide spontanée peut se mettre en place. Le formateur est toujours présent pour les accompagner si besoin dans les apprentissages. Il s’adapte au rythme de chaque stagiaire, en le remotivant quand c’est nécessaire, en le laissant respirer quand il en a besoin, en changeant d’activité si ça devient laborieux. Les ressources autoformatives sont essentiellement sous la forme de PDF ; elles ont été produites au fil du temps par l’équipe pédagogique qui les améliore en permanence. Le CESAM dispose également d’une plateforme numérique, peu utilisée.

Nicolas a aimé les maths bien avant d’aimer enseigner les maths. C’est en effet par goût pour cette discipline et parce qu’il y excellait en tant que lycéen, qu’il se dirige, tout naturellement, vers une licence puis une maitrise de mathématiques, avec l’ambition de devenir enseignant-chercheur. « Au lycée, on ne se pose pas trop de questions sur son orientation : quand on est bon en maths on fait des maths », dit-il.Mais le chemin est rude et il faut bien gagner sa vie, et sera donc une réorientation de son projet professionnel en direction de l’enseignement avec deux tentatives infructueuses d’obtenir le CAPES. Mais en avait-il vraiment envie ? Pas tant que cela finalement, car, de son propre aveu, être en face d’un groupe de jeunes et gérer la discipline est loin d’être sa tasse de thé. Enseigner, oui, mais à des personnes motivées qui savent pourquoi elles sont là. Ce sera donc vers la formation pour adultes qu’ira sa préférence : une première expérience de cinq années dans un CFA agroalimentaire de la région, dans lequel il ne se sentait pas très à l’aise ; encore une fois, faire face à un groupe classe, gérer les notes, la discipline… ce n’est pas pour lui. Et puis ce fut le CESAM, plus précisément l’APP où il exerce depuis quinze ans maintenant. Ce qui lui plait ? « Faire avancer les personnes sans toutes les contraintes de notes et de discipline, s’adresser à des adultes qui savent pourquoi ils sont là, et qui sont contents d’apprendre et d’avancer, et pourquoi pas de prendre du plaisir à faire des mathématiques. »

Nicolas est passé directement de la formation en mathématiques à leur enseignement, et bien sûr dans un modèle d’enseignement-apprentissage non académique. Mais cette bascule s’est faite sans souci majeur. Il n’a pas suivi d’enseignement à la didactique des maths, même si son implication dans le réseau le fait progresser de ce point de vue en lui permettant de confronter sa pratique à celles d’autres formateurs de la même discipline. Il estime qu’il y a dans ce métier de formateur une bonne part d’artisanat car il faut souvent improviser en fonction de la personne avec qui on travaille. « J’aime rallumer la flamme, montrer plusieurs points de vue et donner du sens aux mathématiques ». Pourtant, il regrette un peu qu’au fil du temps, avec le raccourcissement des durées de formation, et l’évolution des publics, moins diversifiés qu’auparavant, les apprenants viennent avant tout chercher des techniques, des méthodes au détriment du sens et il a dû s’adapter, « faire le deuil du sens, pour aller très vite à la pratique, à l’essentiel en fonction du temps dont ils disposent ». Par exemple, même s’il n’est pas fan du « produit en croix », force est de constater que cette méthode fonctionne pour beaucoup de stagiaires. Il aime aussi être challengé par des apprenants qui l’obligent à comprendre leur fonctionnement cognitif et à trouver des astuces inédites. Il évoque notamment une personne avec qui il a commencé par apprendre à compter sur ses doigts.

Cette caractéristique artisanale du métier s’oppose parfois selon lui à une logique d’industrialisation qui le laisse dubitatif : un certain discours ambiant laisse à penser qu’en travaillant sur les process, les formateurs deviendraient interchangeables, sans conséquence sur les apprenants. Si tout est formalisé en amont, faut-il encore un formateur disciplinaire ? Un simple animateur ne peut-il pas suffire ? Cette évolution, qui s’appuie sur des ressorts économiques, est pour lui un vrai danger, mais il se rassure car « au CESAM, on ne brade pas la qualité ! On partage des valeurs, on ne fait pas que de l’argent en alignant des signatures sur des feuilles de présence. On nous reproche même parfois de faire de la surqualité ».

Vous l’aurez sans doute compris, bien que maitrisant parfaitement l’informatique, Nicolas n’est pas très adepte des didacticiels et les supports d’apprentissage restent majoritairement « papier-crayon ». De son point de vue, cela prend du temps de produire des contenus interactifs et finalement, ce n’est peut-être pas si efficace « tant que je peux être à côté d’eux et griffonner avec eux, je préfère ! Le geste est important – tracer un cercle, par exemple, produire un schéma, faire et refaire une démonstration». Nicolas s’agace de l’innovation pour l’innovation : « dans les appels d’offres, on ne nous demande pas de faire mieux, mais de faire nouveau, sans prendre en compte l’efficacité des méthodes traditionnelles ». Pourquoi changer ? Les apprenants apprécient ce dispositif, dans lequel ils se sentent bien, qui leurs donne l’occasion de régler quelques comptes avec une scolarité qui ne s’est peut-être pas très bien passée, tout en leur donnant de nouvelles bases pour une insertion professionnelle réussie.

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